Les contrats
administratifs:
L'administration
peut signer des contrats avec des tiers comme tous et chacun, sans faire valoir
un privilège quelconque en dehors du contrat lui-même, c’est-à-dire sans
spécifier qu’elle agit en tant que détentrice de la puissance publique. Elle
est alors assujettie au droit privé. Mais si l'administration s’engage dans un
contrat en se référant à son statut de représentante de l'intérêt général face
à un cocontractant pour lui imposer sa volonté, le contrat relèvera alors du
droit administratif.
Il y a deux sortes de contrats
administratifs. Ceux qualifiés comme tel par la loi: les contrats portant sur
l'exécution et l’entretien des travaux
publics. Puis il y a ceux qui sont
qualifiés par le juge. Autrement dit, la jurisprudence. Une troisième catégorie
reste en gestation, elle concerne les bons de commande.
I - Les spécificités du contrat administratif:
Dans les relations qui relèvent du droit
privé, l’égalité juridique entre les contractants est la règle de base. Et le
contrat fait office de loi. Ses termes ne peuvent être changés qu’après
l’acceptation des parties contractantes.
Le contrat administratif est différent,
dans la mesure où l’administration y impose sa volonté, et garde en plus la
possibilité d’intervenir à tout moment pour changer les termes du contrat ou
l’annuler, simplement.
La jurisprudence a formulé les
spécificités du contrat administratif autour de la notion des obligations et
des droits du cocontractant avec l’administration. Sachant que les obligations
ici reflètent les droits de l’administration.
* Les
obligations du cocontractant :
1. Le cocontractant est tenu
à l'obligation d'exécution personnelle. De ce fait, il ne peut sous-traiter
l'objet du contrat qu'après l'acceptation de l'administration.
2. Il doit exécuter
correctement. L'administration qui se doit de surveiller l'exécution des
travaux, peut exiger la réfection si elle constate le non respect du cahier des
charges, ou de demander des dommages et intérêts en cas de malfaçon ou de
retard.
3. Le cocontractant doit accepter toute
injonction de l’administration concernant l’ouvrage en question et s’y
conformer même quand celle-ci change les termes du contrat.
* Les droits du cocontractant :
Le cocontractant bénéficie en contrepartie
de mesures de protection adaptées à cette situation.
1. Il a droit à des acomptes. Il lui est même
possible de recevoir des avances pour les prestations non fournies. Et ceci est
une dérogation à la règle du paiement après exécution en matière de finance
publique.
2. Si des événements
extérieurs à la volonté du cocontractant et imprévisibles viennent bouleverser
l'économie du contrat, c’est-à-dire le coût de l’exécution du contrat, celui-ci
reste tenu de l'exécution mais il a droit à une compensation financière de la
part de l’administration. Ce qui n'est
pas le cas dans les contrats de droit privé.
3. Au cas où l’exécution du
contrat exige du cocontractant des travaux qui, au départ, n’avaient pas été
prévus et qui se révèlent par la suite nécessaires, il a droit à des
indemnisations égalent à l’investissement consenti. C’est
un emprunt au droit civil, en ce qui concerne l’administration, de la notion de
l’enrichissement sans raison.
II - Les contrats
administratifs qualifiés par la jurisprudence :
Le
juge administratif marocain a longtemps exigé trois éléments pour accepter de
qualifier un contrat d’administratif
1. L’administration en fait partie.
2. L’objet du contrat porte
sur l’exécution d’un service public.
3. Le contrat comporte des
clauses exorbitantes du droit privé, c’est-à-dire des conditions qui n’existent
pas dans le droit commun.
Ces derniers temps, le juge marocain
s’oriente, comme son collègue français, vers
la recherche de deux principaux critères : la présence de
l’administration et la gestion directe du service public ou la présence de
l’administration et les clauses exorbitantes.
Exemple de dévolution. Le tribunal de Meknès
qui, le 7 mars 1996, dans l’arrêt Boukbir, a avancé
que : « Attendu que ces dispositions sont considérées comme
clauses exorbitantes de droit commun, le contrat litigieux est administratif,
et relève par conséquent de la juridiction administrative. »
Dix ans plus tard, le même tribunal a
affirmé : « Pour qu’un contrat soit un contrat administratif, il
ne suffit pas que l’une des parties soit une personne publique, mais il faut
qu’il concerne la gestion d’un service public et qu’il contienne des clauses
exorbitantes du droit commun ». Le
29/12/2005. S. Boudouch. REMARC n7-8, 2008. Cité par Mounia Benlamlih : Le
contentieux contractuel en droit administratif marocain, REMALD, n°87, 2010.
III - Les contrats administratifs déterminés par la
loi :
Les
contrats portant sur
l’exécution de travaux publics
sont qualifiés d’office d’administratifs et requièrent en conséquence l’attention du juge
administratif en cas de conflit. Le décret n° 2-12-349 de janvier 2014,
abrogeant celui de février 2007, fixe
les conditions et les formes de passation des marchés de l’Etat ainsi que
certaines règles relatives à leur gestion et à leur contrôle. Il n’en demeure
pas moins que bien des questions y ont été sujet à controverse.
1- Le principe de base entre textes juridiques et jurisprudences
L’objet du contrat détermine ici sa nature. L’objet renverse
« la présomption qui résulte de la personnalité des parties
contractantes ».
La
preuve s’il en faut: l’Arrêt du T.C. de 1983, Union des assurances de Paris.
« Un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un
caractère administratif (…) sauf dans le cas où, eu égard à son objet, il ne
fait naître entre les parties que des rapports de droit privé. » GAJA,
2007, p624\625.
Bien avant, dans l’arrêt Sté des granits porphyroïdes CE 31juillet 1912, l’utilisation abusive des critères des contrats
administratifs par leur nature a longtemps faussé le jeu en ce domaine : «
ce qu’il faut examiner, c’est la nature du contrat lui-même indépendamment de
la personne qui l’a passé et de l’objet en vue duquel il a été conclu». Léon
Blum. p156
Le 14 sept. 2004, un contrat semblable a
été reconnu administratif. (CAA Bordeaux. Couderc.) Pourquoi ? Parce que la
jurisprudence a si longtemps tergiversé que le législateur a fini par
intervenir : loi du 10 déc. 2001 dite loi
« MURCEF» « Les marchés passés en application du Code des
marchés publics ont le caractère de contrats administratifs. » (Voir les
détails de l’arrêt à la fin)
2- Le prolongement du principe de base :
Le débat d’interprétation soulevé
auparavant se rapportait des fois à un
contrat annexe au contrat principal, celui dit de la sous-traitance, d’autres
fois à des modalités en deçà du contrat
reconnues par le législateur au profit de l’administration pour lui faciliter
le travail, cela concerne les bons de
commandes.
1- La sous-traitance : Le principe de
base est que, pour qu’un contrat soit qualifié d’administratif, il faut que
l’Etat ou l’administration ou toute autre entité publique en fasse partie. Or, que dire du sous-traitant ? L’article 158 du code de travaux publics en
détaille les conditions. L’administration peut y refuser un sous-traitant ou
plusieurs. Et ce dernier ne peut avoir plus de la moitié de l’objet du
contrat ou l’essentiel du contrat.
Toujours
est-il que la sous-traitance suppose l’intervention d’une tierce personne, voire
plusieurs. Il y aurait ainsi le maître de l’ouvrage : l’administration,
l’entrepreneur principal : le cocontractant, et le sous-traitant. En conséquence de quoi, la nature privée, en
principe, de la relation qui lie les deux derniers intervenants ne fait aucun
doute : elle est régie par les règles de droit privé. Les articles 759 à
780 du DOC confirment la règle. Mais, exceptionnellement, le juge peut intégrer les contrats de
sous-traitance parmi les contrats administratifs chaque fois qu’il s’agit de
travaux publics. Voir l’Arrêt Entreprise Peyrot.
2- Les bons de commande, une manière
allégée et rapide mise à la disposition de l’administration pour parer au plus
urgent et acquérir des fournitures ou entreprendre des travaux, mais limitée
dans sa valeur. L’article 88 du code des travaux publics du 20 mars 2013
précise : « Il peut être procédé par bons de commande à
l’acquisition de fournitures et à la réalisation de travaux ou services et ce
dans la limite de deux cent mille dirhams (…) »
Le tribunal administratif de Rabat, en
utilisant les critères fréquents de jurisprudence, s’est déclaré incompétent en ce domaine le
28/9/95. Etablissement Hassan ELHDIGI c/L’école nationale de l’industrie
minérale. Voir M. Benlamlih, p84-85. Le tribunal
administratif de Casablanca avait adopté la même position le 13/7/1994 (Journal
Al Alam), et le tribunal de Marrakech a
suivi cette orientation le 20/10/1999 (Sté
Benzdi c/la Commune
rurale).
Pourtant, la Cour suprême avait essayé d’unifier la position
dans l’affaire « SOUDELEK » en considérant que : le contrat
passé par entente directe (autre appellation du bon de commande) est un contrat administratif s’il est conclu
par une personne publique et se rapporte à la gestion d’un service public. Voir
Benlamlih, p 85.
De mon point de vue, si le débat a perduré
après, c’est que les commentateurs ont passé sous silence le fait que ces bons
de commande peuvent avoir pour objet tant des travaux, synonyme de travaux publics
et où la loi est maîtresse, que des fournitures à propos desquels les critères
de jurisprudence peuvent être utilisés. C’est aussi le contenu réel mais
inexprimé de M. Benlamlih dans sa conclusion : « le juge doit
utiliser son pouvoir d’appréciation pour interpréter et qualifier les contrats
objet du litige selon les circonstances de chaque cas d’espèce. » p86
VI
Exemples de contrats administratifs spécifiques:
Nombreux
et touchant tous les aspects de la vie en société organisée, on peut en
rappeler l’essentiel : le contrat de concession, le contrat de gestion
déléguée, le contrat de fournitures de biens et de services, le contrat
d’entraide ou de participation, le contrat de crédit public… On s’arrêtera à titre d’exemples sur les trois
premiers :
1- Le contrat de concession :
C’est le contrat par lequel une personne
publique charge une personne privée, un individu ou une société,
d’exploiter un service public économique
moyennant les taxes prélevées sur les usagers.
Ce contrat contient deux catégories de clauses. Une première est liée au
contrat lui-même, plus précisément aux droits du cocontractant, elle est
assujettie au principe général « le contrat fait office de loi ».
L’administration ne peut pas les changer à sa guise, ceci requiert l’accord du
partenaire de celle-ci. La deuxième catégorie par contre se rapporte à
l’organisation et la gestion du service
public. Là, l’administration se réserve le droit d’intervenir à tout moment, sous
réserve d’indemniser le cocontractant en cas d’atteinte à l’équilibre financier
du contrat en conséquence de son intervention. Ceci un régime exorbitant du
droit commun.
2- Le contrat de gestion
déléguée :
Ici l’administration délègue à des
particuliers la gestion d’un service public. Comme la concession à première
vue, il en diffère sur plusieurs points en fait. Il est exclu de prime abord du décret de
travaux publics. Art. 3, alinéa 2. C’est la loi 54.05 qui s’y impose.
1
- D’abord
le contrat de concession est exempt de cahier de charges. L’administration a
les mains libres pour le contracter ou non. La gestion déléguée par contre est
liée aux conditions spécifiques de la loi précédemment citée.
2-
La durée de la concession varie entre 30 et 99 ans,
alors que la durée du contrat de gestion déléguée est limitée par la durée de
la tâche à exécuter.
3- Le
contrat de concession subit le contrôle financier auquel sont assujettis les
établissements publics et toutes les organisations qui bénéficient d’un soutien
financier public (Dahir 14 avril 1960).
Le contrôle des contrats de gestion déléguée est renforcé.
3- Les contrats de fournitures et de services :
Inclus par le décret de 2007 dès l’article
1, ces contrats sont nommés dans l’article 2 du décret de 2014. L’article 4,
alinéa 13 spécifie le contenu des contrats administratifs en ce domaine :
achats de produits ou de matériaux, ou leur location avec la possibilité de
leur achat, et, accessoirement, les travaux de pose et de montage pour
l’exécution de l’objet du contrat.
1- Après les produits alimentaires
pour les humains et pour les animaux d’élevage.
2- Il y a les fournitures dites
ordinaires. C’est l’acquisition de produits qui existe sur le marché mais pas
selon les critères voulus par l’administration contractante.
3- Les fournitures spéciales que
sont les produits introuvables sur le marché et que le cocontractant doit
produire selon des normes spécifiques.
4- Les contrats de fournitures ne
peuvent avoir pour objet le commerce d’immobiliers ou leur location avec option
d’achat.
Annexe 2 du décret de travaux publics
énumère en détail les fournitures de services faisant objet de contrats
administratifs.
Initiation à la
lecture des Arrêts du droit administratif
Arrêt Blanco :
T. C.
1873
Les faits : Une enfant est blessée par le wagonnet d’une
manufacture de tabac régie
par l’Etat. Son père, Mr Blanco, a tenté de faire condamner l’Etat, comme
civilement responsable, pour dommages et intérêts devant les juridictions
judiciaires. Ce que le préfet de la gironde, le représentant de l’Etat au
niveau du département : comme le wali au Maroc, a refusé.
Le problème de droit : Le tribunal des conflits devait
désigner la juridiction compétente « pour connaître des actions en
dommages et intérêts contre l’Etat ».
La solution juridique : L’arrêt consacre, pour un certain temps au moins, le principe de la liaison de la
compétence et du fond. C’est le « lien direct et réciproque entre
l’application de règles autonomes, exorbitantes du droit privé, et la
compétence de la juridiction administrative. »
Remarques : L’arrêt est
largement dépassé aujourd’hui. Les
accidents de ce genre relèvent depuis du droit privé. Et les règles de compétence sont moins
tranchées, de plus en plus versatiles.
Arrêt Terrier
(chasseur de reptiles)
C. E. 1903
Il prolonge l’arrêt Blanco en établissant que tout contentieux,
contractuel ou extracontractuel, qu’il
concerne l’Etat ou des entités
décentralisées, relève du juge administratif s’il touche à l’intérêt général. Puisque la notion est révélatrice d’un
service public.
Mairie de Néris-les-Bains C.E. 1902
Les faits : Le préfet
interdit les jeux d’argent dans son département en laissant des possibilités de
dérogation. Le Maire d’une commune du département aggrave la mesure en
établissant une interdiction totale.
Problème de droit : Le préfet
conteste l’autorité du maire et annule son arrêté. Le Maire saisit le tribunal
pour contester la compétence du préfet.
La solution juridique : Si la
subordination hiérarchique ne tolère pas la contestation des actes de son
supérieur, sauf en cas d’atteinte aux statuts, les relations des autorités sous
tutelles et des autorités tutélaires sont d’un autre ordre.
Le
principe ici est que toute autorité publique a le droit de contester la
légalité d’acte pris par une autre autorité publique. Même si elle est sous sa tutelle.
De ce fait, le Maire avait raison d’autant
qu’il aggravait la mesure prise par le préfet. Puisque le contraire reste
inacceptable pour le juge administratif.
Sté immobilière de Saint-Just T. C.
1902
Les faits : Le préfet du
Rhône a ordonné l’évacuation et la
fermeture de l’établissement des nones à Lyon, en
application
du décret anticlérical de juillet
1901.
Le
problème de droit : Est-ce que l’apposition des scellés devait être
considérée comme une mesure administrative ou comme un acte de dépossession
fondant la compétence de l’autorité judiciaire ?
La
solution juridique et ses conséquences:
C’est une mesure administrative et ce n’est
pas le plus important puisqu’elle est fondée. L’encadrement juridique de
l’exécution forcée est ce qu’il faut retenir.
Désormais :
-
Elle doit trouver sa source dans un texte de loi précis.
- Aucune autre sanction ne
soit prévue, notamment pénale.
- Il y a urgence.
De plus, il faut ajouter les
conditions nécessaires à la légalité de sa mise en œuvre :
-
un texte de loi
- une mauvaise volonté caractérisée chez le
sujet.
-
elle doit se limiter au strict nécessaire pour assurer
l’obéissance à la loi. Faute de quoi,
l’administration exécute à ses risques et périls. Sachant que toute atteinte à
un droit ou à une liberté fondamentale constitue une voie de fait
Dans l’Arrêt Couitéas de1923,
il y a décision de justice. Et le juge retient deux cas de figures. Le refus
d’exécuter est injustifié : il y a faute lourde. Le refus est compréhensif
(crainte de troubles) : il y a responsabilité sans faute. Depuis, la C.J .C.E. a tranché :
l’Etat doit assurer l’exécution des jugements. (Commission contre la France. 1997)
Arrêt Monpeurt
C. E. 1942
Les faits : Ils concernent les comités
d’organisation du temps de Vichy
Problème de
droit : Le législateur n’en a pas fait des Etablissements publics. Mais ils prennent des décisions
qui s’apparentent à des actes administratifs.
Les solutions juridiques :
Le C. E. reconnaît ce fait et circonscrit le domaine du droit
administratif : les décisions prises dans le cadre de leurs attributions
par voie réglementaire ou dispositions individuelles. Il s’abstient toutefois
de qualifier les décideurs, jusqu’en 1984 (Centre d’études marines avancées et
Mr. Cousteau) Ces comités sont d’ordre
privé.
Arrêt Bouguen
C. E. 1943
Il concerne les
compétences des ordres professionnels, auxquels il préconise la solution
retenue dans l’arrêt Monpeurt. Seules les décisions à caractère réglementaire
comme le refus d’inscription d’un nouveau membre relève du juge administratif.
Il faut ajouter cependant que les mesures disciplinaires doivent passer par les
instances nationales de l’ordre avant de faire un objet de recours en
cassation. En ce qui concerne la responsabilité, la faute simple suffit.
Sté La cartonnerie et imprimerie Saint Charles C.E.1938
Ici le juge
reconnaît à l’administration un large pouvoir d’appréciation quand il s’agit de
prêter main forte. Parce qu’il n’y a pas de décision de justice.
Arrêt
Martin (un conseiller départemental
remet en cause la procédure d’un contrat)
C. E.
1905
Si auparavant le
contrat et les actes qui lui sont attachés formaient un tout indivisible, cet
arrêt formule la distinction entre le contrat et les actes détachables du
contrat : actes préparatoires comme les délibérations ici, ou actes
postérieurs au contrat comme l’exécution ou la modification des termes du
contrat, voire sa résiliation. Ces derniers peuvent faire l’objet de recours
pour excès de pouvoir, même quand le contrat relève du droit privé. Le recours
est ouvert pour les tiers également.
Arrêt Pariset C. E. 1873
Les
faits : Le préfet ferme l’usine d’allumettes de Mr Pariset pour insalubrité.
Ce dernier l’accuse de l’avoir fait pour favoriser son concurrent, un
établissement public.
Problème de droit :
comment rechercher la vérité ?
La solution : le
juge étudie le but poursuivi par l’auteur et contrôle son intention subjective profonde. Des présomptions sérieuses fondent le
détournement du pouvoir.
*
* *
*
*
Pour rendre compte d’un arrêt, il faut
noter tout d’abord les trois éléments constitutifs de la première partie:
- Les faits
- le problème de droit qui s’y pose
- la solution juridique qu’il préconise
Le
commentaire d’arrêt consiste, après, à comparer dans la seconde partie l’arrêt
avec d’autres pour voir s’il apporte du nouveau ou non dans la solution qu’il
adopte.
Société
Entreprise Peyrot : T.C. 1963
Les faits : L’entreprise Peyrot,
une entreprise privée, reproche à la société concessionnaire de la
construction et l’exploitation
d’une autoroute, société mixte Esterel-Côte d’azur, des manœuvres dolosives qui
ont causé sa faillite.
Problème de droit : Le juge
judiciaire s’est d’abord déclaré
compétent.
Le juge d’appel, au contraire, a renvoyé le litige au juge administratif, qui a
saisi à son tour le tribunal des conflits. Le problème de droit apparaît
épineux d’autant que le C.E. s’est déclaré incompétent en 1961 à propos du
litige né d’un contrat entre la même Société Estérel et une autre
entreprise. Et pour cause : ce sont
deux entreprises privées et leur contentieux relève du droit privé.
La solution
juridique : Le tribunal avance
des motifs d’opportunité. Il dit qu’il est souhaitable que les litiges des
grands travaux soient tous soumis au droit public. Mais l’Arrêt revêt
« une portée doctrinale bien plus grande que celle d’une simple décision
d’espèce. »GAJA, 1990, p620.
En effet,
les conséquences de l’arrêt se
prolongent jusqu’à nos jours pour en révéler l’esprit : éviter, sur le
plan juridique, la « privatisation » des grands travaux de l’Etat.
(p619) Autrement dit, si la loi charge l’Etat de l’exécution et le contrôle des grands travaux, celui-ci
ne peut pas se démettre de cette charge en délégant l’exécution ou le contrôle
à des entités privées. Il demeure responsable. La connotation politique y est importante
et rappelle les conclusions du commissaire du gouvernement, Mr Chenot, dans
l’Arrêt Compagnie Maritime de l’Afrique Orientale de 1944:« un service
régulier de transports publics ne peut être abandonné à l’entière fantaisie
de l’initiative privée… La carence de l’entreprise ou son fonctionnement
désordonné mettraient en péril les intérêts généraux dont l’administration a
la charge ». p359.
C’est l’expression « dont
l’administration à la charge » qui est importante pour nous. Puisque, par
la force de la loi, la charge des grands travaux publics revient à
l’administration. De ce fait, le juge
administratif se déclare compétent pour tout contrat portant sur l’exécution
directe de tels travaux. Ici, il est question d’autoroutes. Ailleurs, les tunnels
routiers : Sté concessionnaire française pour la construction et
l’exploitation du tunnel routier sous le Mont-Blanc. (La cour d’appel de Paris,
1965.)
Sté des autoroutes de la Région Rhône-Alpes ,
(entièrement privée). C.E.1989. Il en
est de même pour la voirie en général.
C’est l’objet du contrat qui détermine
en fin de compte sa nature. L’objet renverse « la présomption qui résulte
de la personnalité des parties contractantes ».
Exemple
contraire : l’Arrêt du T.C. de 1983, Union des assurances de Paris.
« Un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un
caractère administratif (…) sauf dans le cas où, eu égard à son objet, il ne
fait naître entre les parties que des rapports de droit privé. » p624\625.
Arrêt :
Société des granits porphyroïdes des
Vosges, 1912.
Les faits : Suite au retard de la société des granits dans
ses livraisons de pavés, la
municipalité de la ville de Lille a retenu une somme d’argent sur le paiement
dû comme pénalité. La société en question a assigné la ville devant le juge
administratif.
Le problème de droit : Le marché passé entre la ville
et la Société étant exclusif de
tous travaux à exécuter par la société et avait
pour objet unique des fournitures à livrer selon les règles et
conditions des contrats intervenus entre particuliers, la société s’en plaint
devant le tribunal administratif, mais sa demande est rejetée. La dite société
soulève une contestation dont il n’appartient pas à la juridiction
administrative de connaître, dira-t-il.
Une première constatation s’impose, le
jugement en lui-même s’arrête sur le fait qu’il n’y a pas de gestion directe
et, donc, le contrat relève du droit commun. Ce qui nuance la portée de l’arrêt
Thérond du 4 mars 1910, qui « pouvait conduire à voir un contrat
administratif dans tout contrat conclu par une ville dans le « but
d’assurer un service public ». » (p156.GAJA :2007) Mais, deuxième constatation importante, le débat sera
ailleurs, sur le critère du cahier de charge et, sa pierre angulaire, les
clauses exorbitantes.
La
solution juridique (du moment):
C’est dans les conclusions de Léon Blum qu’on la trouve. Le commissaire
du gouvernement avait précisé : « Quand il s’agit de contrat, il
faut rechercher, non pas en vue de quel
objet ce contrat est passé, mais ce qu’est ce contrat de par sa nature même. Et,
pour que le juge administratif soit compétent, il ne suffit pas que la
fourniture qui est l’objet du contrat devrait être utilisée pour un service public ; il faut que ce contrat par lui-même, et de
par sa nature propre, soit de ceux qu’une personne publique peut seul passer,
qu’il soit, par sa forme et sa contexture, un contrat administratif… Ce qu’il
faut examiner, c’est la nature du contrat lui-même indépendamment de la
personne qui l’a passé et de l’objet en vue duquel il a été conclu. » (p156)
Le commentateur résume la pensée de Léon
Blum : « Le commissaire du gouvernement considérait que le
critère du contrat administratif était la présence de clauses exorbitantes du
droit commun. » En fait Léon Blum a
cru résoudre le problème mais il en a crée un autre.
Le commentaire :
« Depuis lors la question s’est
posée pour les marchés, d’une part en ce qu’ils se bornaient à renvoyer à un
cahier des charges, d’autre part en ce qu’ils étaient soumis seulement à la
réglementation des marchés.
Dans le premier cas, la jurisprudence a
fini par considérer que le renvoi à un cahier des charges n’imprimait au
contrat un caractère administratif que si ce document contenait lui-même une ou
des clauses exorbitantes du droit commun. (TC, Union
des groupements d’achats
publics, 5 juillet 1999).
Dans le second cas, la jurisprudence a
considéré que le régime particulier de passation des marchés publics ne
suffisait pas à en faire des contrats administratifs. » (TC. 5 juillet 1999. Commune de Sauve. GAJA 2007, p158)
En somme, si le cahier des charges,
synonyme de marchés publics, ne suffit pas pour déterminer le caractère
administratif d’un contrat, puisqu’il faut y chercher les clauses exorbitantes
du droit commun, c’est que le cahier des charges en lui-même n’a plus
d’importance. En conséquence de quoi, c’est la notion même de régime de
passation des marchés publics qui est remise en cause, puisque
le cahier des charges en est l’essentiel.
Effectivement en principe de nombreux
contrats administratifs allaient passer au droit commun selon cette logique. D’autant
que les sociétés privées contractent des marchés selon le mode du cahier des
charges, et des entités publiques ou mixtes sans référence aucune à un cahier
des charges.
Bref. Une approche venue du régime des
contrats déterminés par la jurisprudence, le régime des critères, a envahi le
régime des contrats administratifs déterminés par la loi, pour en bouleverser
l’ordre au point de semer le doute sur la réalité du régime. Le doute a été tel
que le législateur a jugé bon d’intervenir pour rétablir le régime des travaux publics en place :
Les « marchés passés en application du
Code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs ». Loi MURCEF du 11 décembre 2001. La jurisprudence va alors plus loin. Vu leur objet, même les
contrats conclus sans formalités préalables, c’est-à-dire sans référence à un
cahier de charges, sont des contrats administratifs. (CE.
Société MAJ Blanchisseries de Pantin. 29 juillet 2002)
Le retour de situation est conséquent. La tentative de certains
juristes de faire passer des contrats de droit commun en droit administratif a
échoué : « les marchés que passent des personnes privées en appliquant
spontanément le Code des marchés publics alors qu’il ne s’impose pas restent
des contrats de droit privé. » TC 17 décembre 2001.
Société Rue Impériale de Lyon.
En revanche, un contrat de fourniture
de pierres pour
le revêtement d’une place publique, semblable au marché de granits
porphyroïdes des Vosges, est reconnu administratif. CAA Bordeaux. 14 septembre 2004.
La
conclusion qui s’impose est que la logique inhérente aux contrats déterminés
par la jurisprudence reste valable tant qu’elle reste confinée dans le domaine
qui est le sien : tout autre objet en dehors des travaux publics. Et
l’erreur dans l’arrêt des granits est justement dans l’utilisation des critères
de jurisprudence dans un domaine où règne la loi, sur le cocontractant et sur
le sous traitant.
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