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lundi 14 janvier 2019

Les contrats administratifs:

Les contrats administratifs:     

     L'administration peut signer des contrats avec des tiers comme tous et chacun, sans faire valoir un privilège quelconque en dehors du contrat lui-même, c’est-à-dire sans spécifier qu’elle agit en tant que détentrice de la puissance publique. Elle est alors assujettie au droit privé. Mais si l'administration s’engage dans un contrat en se référant à son statut de représentante de l'intérêt général face à un cocontractant pour lui imposer sa volonté, le contrat relèvera alors du droit administratif.

     Il y a deux sortes de contrats administratifs. Ceux qualifiés comme tel par la loi: les contrats portant sur l'exécution et l’entretien des  travaux publics. Puis il y a  ceux qui sont qualifiés par le juge. Autrement dit, la jurisprudence. Une troisième catégorie reste en gestation, elle concerne les bons de commande.


I -  Les spécificités du contrat administratif:

      Dans les relations qui relèvent du droit privé, l’égalité juridique entre les contractants est la règle de base. Et le contrat fait office de loi. Ses termes ne peuvent être changés qu’après l’acceptation des parties contractantes. 
    
      Le contrat administratif est différent, dans la mesure où l’administration y impose sa volonté, et garde en plus la possibilité d’intervenir à tout moment pour changer les termes du contrat ou l’annuler, simplement.

      La jurisprudence a formulé les spécificités du contrat administratif autour de la notion des obligations et des droits du cocontractant avec l’administration. Sachant que les obligations ici reflètent les droits de l’administration.


 *  Les obligations du cocontractant :

1. Le cocontractant est tenu à l'obligation d'exécution personnelle. De ce fait, il ne peut sous-traiter l'objet du contrat qu'après l'acceptation de l'administration.

2. Il doit exécuter correctement. L'administration qui se doit de surveiller l'exécution des travaux, peut exiger la réfection si elle constate le non respect du cahier des charges, ou de demander des dommages et intérêts en cas de malfaçon ou de retard.

3.  Le cocontractant doit accepter toute injonction de l’administration concernant l’ouvrage en question et s’y conformer même quand celle-ci change les termes du contrat.


Les droits du cocontractant :

     Le cocontractant bénéficie en contrepartie de mesures de protection adaptées à cette situation.

1.  Il a droit à des acomptes. Il lui est même possible de recevoir des avances pour les prestations non fournies. Et ceci est une dérogation à la règle du paiement après exécution en matière de finance publique.

2. Si des événements extérieurs à la volonté du cocontractant et imprévisibles viennent bouleverser l'économie du contrat, c’est-à-dire le coût de l’exécution du contrat, celui-ci reste tenu de l'exécution mais il a droit à une compensation financière de la part de l’administration.  Ce qui n'est pas le cas dans les contrats de droit privé.

3. Au cas où l’exécution du contrat exige du cocontractant des travaux qui, au départ, n’avaient pas été prévus et qui se révèlent par la suite nécessaires, il a droit à des indemnisations égalent à l’investissement consenti.   C’est un emprunt au droit civil, en ce qui concerne l’administration, de la notion de l’enrichissement sans raison.  


II - Les contrats administratifs qualifiés par la jurisprudence :

     Le juge administratif marocain a longtemps exigé trois éléments pour accepter de qualifier un contrat d’administratif

1.  L’administration en fait partie.

2. L’objet du contrat porte sur l’exécution d’un service public.

3. Le contrat comporte des clauses exorbitantes du droit privé, c’est-à-dire des conditions qui n’existent pas dans le droit commun.

      Ces derniers temps, le juge marocain s’oriente, comme son collègue français, vers  la recherche de deux principaux critères : la présence de l’administration et la gestion directe du service public ou la présence de l’administration et les clauses exorbitantes.

 Exemple de dévolution. Le tribunal de Meknès qui, le 7 mars 1996, dans l’arrêt Boukbir, a avancé que : « Attendu que ces dispositions sont considérées comme clauses exorbitantes de droit commun, le contrat litigieux est administratif, et relève par conséquent de la juridiction administrative. »
    
     Dix ans plus tard, le même tribunal a affirmé : « Pour qu’un contrat soit un contrat administratif, il ne suffit pas que l’une des parties soit une personne publique, mais il faut qu’il concerne la gestion d’un service public et qu’il contienne des clauses exorbitantes du droit commun ».  Le 29/12/2005. S. Boudouch. REMARC n7-8, 2008. Cité par Mounia Benlamlih : Le contentieux contractuel en droit administratif marocain, REMALD, n°87, 2010.



III -  Les contrats administratifs déterminés par la loi :

      Les contrats  portant  sur  l’exécution  de travaux  publics   sont qualifiés  d’office  d’administratifs   et requièrent   en conséquence l’attention du juge administratif en cas de conflit. Le décret n° 2-12-349 de janvier 2014, abrogeant celui de février 2007,  fixe les conditions et les formes de passation des marchés de l’Etat ainsi que certaines règles relatives à leur gestion et à leur contrôle. Il n’en demeure pas moins que bien des questions y ont été sujet à controverse.


1-  Le principe de base entre textes juridiques et jurisprudences

     L’objet du contrat  détermine ici sa nature. L’objet renverse « la présomption qui résulte de la personnalité des parties contractantes ».

     La preuve s’il en faut: l’Arrêt du T.C. de 1983, Union des assurances de Paris. « Un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif (…) sauf dans le cas où, eu égard à son objet, il ne fait naître entre les parties que des rapports de droit privé. » GAJA, 2007, p624\625.

       Bien avant, dans l’arrêt Sté des granits porphyroïdes CE 31juillet 1912, l’utilisation abusive des critères des contrats administratifs par leur nature a longtemps faussé le jeu en ce domaine : « ce qu’il faut examiner, c’est la nature du contrat lui-même indépendamment de la personne qui l’a passé et de l’objet en vue duquel il a été conclu». Léon Blum. p156

     Le 14 sept. 2004, un contrat semblable a été reconnu administratif. (CAA Bordeaux. Couderc.) Pourquoi ? Parce que la jurisprudence a si longtemps tergiversé que le législateur a fini par intervenir : loi du 10 déc. 2001 dite loi    « MURCEF»  «  Les marchés passés en application du Code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs. » (Voir les détails de l’arrêt à la fin)


2-  Le prolongement du principe de base :
    
     Le débat d’interprétation soulevé auparavant se rapportait des fois  à un contrat annexe au contrat principal, celui dit de la sous-traitance, d’autres fois à des modalités en deçà  du contrat reconnues par le législateur au profit de l’administration pour lui faciliter le travail,  cela concerne les bons de commandes.

1- La sous-traitance : Le principe de base est que, pour qu’un contrat soit qualifié d’administratif, il faut que l’Etat ou l’administration ou toute autre entité publique en fasse partie.  Or, que dire du sous-traitant ?  L’article 158 du code de travaux publics en détaille les conditions. L’administration peut y refuser un sous-traitant ou plusieurs. Et ce dernier ne peut avoir plus de la moitié de l’objet du contrat ou l’essentiel du contrat.

Toujours est-il que la sous-traitance suppose l’intervention d’une tierce personne, voire plusieurs. Il y aurait ainsi le maître de l’ouvrage : l’administration, l’entrepreneur principal : le cocontractant, et le sous-traitant.  En conséquence de quoi, la nature privée, en principe, de la relation qui lie les deux derniers intervenants ne fait aucun doute : elle est régie par les règles de droit privé. Les articles 759 à 780 du DOC confirment la règle. Mais, exceptionnellement,  le juge peut intégrer les contrats de sous-traitance parmi les contrats administratifs chaque fois qu’il s’agit de travaux publics. Voir l’Arrêt Entreprise Peyrot.   

2- Les bons de commande, une manière allégée et rapide mise à la disposition de l’administration pour parer au plus urgent et acquérir des fournitures ou entreprendre des travaux, mais limitée dans sa valeur. L’article 88 du code des travaux publics du 20 mars 2013 précise : « Il peut être procédé par bons de commande à l’acquisition de fournitures et à la réalisation de travaux ou services et ce dans la limite de deux cent mille dirhams (…) »

 Le tribunal administratif de Rabat, en utilisant les critères fréquents de jurisprudence,  s’est déclaré incompétent en ce domaine le 28/9/95. Etablissement Hassan ELHDIGI c/L’école nationale de l’industrie minérale. Voir M. Benlamlih, p84-85. Le tribunal administratif de Casablanca avait adopté la même position le 13/7/1994 (Journal Al Alam), et le tribunal de Marrakech a suivi  cette orientation le 20/10/1999 (Sté Benzdi c/la Commune rurale).

  Pourtant, la Cour suprême avait essayé d’unifier la position dans l’affaire « SOUDELEK » en considérant que : le contrat passé par entente directe (autre appellation du bon de commande)  est un contrat administratif s’il est conclu par une personne publique et se rapporte à la gestion d’un service public. Voir Benlamlih, p 85.

  De mon point de vue, si le débat a perduré après, c’est que les commentateurs ont passé sous silence le fait que ces bons de commande peuvent avoir pour objet tant des travaux, synonyme de travaux publics et où la loi est maîtresse, que des fournitures à propos desquels les critères de jurisprudence peuvent être utilisés. C’est aussi le contenu réel mais inexprimé de M. Benlamlih dans sa conclusion : « le juge doit utiliser son pouvoir d’appréciation pour interpréter et qualifier les contrats objet du litige selon les circonstances de chaque cas d’espèce. »  p86
                                                                                                       



  VI  Exemples de contrats administratifs spécifiques:

     Nombreux et touchant tous les aspects de la vie en société organisée, on peut en rappeler l’essentiel : le contrat de concession, le contrat de gestion déléguée, le contrat de fournitures de biens et de services, le contrat d’entraide ou de participation, le contrat de crédit public… On s’arrêtera  à titre d’exemples sur les trois premiers :
                                         

1-   Le contrat de concession :

    C’est le contrat par lequel une personne publique charge une personne privée, un individu ou une société, d’exploiter  un service public économique moyennant les taxes prélevées sur les usagers.  Ce contrat contient deux catégories de clauses. Une première est liée au contrat lui-même, plus précisément aux droits du cocontractant, elle est assujettie au principe général « le contrat fait office de loi ». L’administration ne peut pas les changer à sa guise, ceci requiert l’accord du partenaire de celle-ci. La deuxième catégorie par contre se rapporte à l’organisation et la gestion  du service public. Là, l’administration se réserve le droit d’intervenir à tout moment, sous réserve d’indemniser le cocontractant en cas d’atteinte à l’équilibre financier du contrat en conséquence de son intervention. Ceci un régime exorbitant du droit commun.


2-   Le contrat de gestion déléguée :

      Ici l’administration délègue à des particuliers la gestion d’un service public. Comme la concession à première vue, il en diffère sur plusieurs points en fait.   Il est exclu de prime abord du décret de travaux publics. Art. 3, alinéa 2. C’est la loi 54.05 qui s’y impose.

1 -   D’abord le contrat de concession est exempt de cahier de charges. L’administration a les mains libres pour le contracter ou non. La gestion déléguée par contre est liée aux conditions spécifiques de la loi précédemment citée.

2-    La durée de la concession varie entre 30 et 99 ans, alors que la durée du contrat de gestion déléguée est limitée par la durée de la tâche à exécuter.

3-     Le contrat de concession subit le contrôle financier auquel sont assujettis les établissements publics et toutes les organisations qui bénéficient d’un soutien financier public (Dahir 14 avril 1960). Le contrôle des contrats de gestion déléguée est renforcé.


3-   Les contrats de fournitures  et de services :

     Inclus par le décret de 2007 dès l’article 1, ces contrats sont nommés dans l’article 2 du décret de 2014. L’article 4, alinéa 13 spécifie le contenu des contrats administratifs en ce domaine : achats de produits ou de matériaux, ou leur location avec la possibilité de leur achat, et, accessoirement, les travaux de pose et de montage pour l’exécution de l’objet du contrat.

1-       Après les produits alimentaires pour les humains et pour les animaux d’élevage.
2-       Il y a les fournitures dites ordinaires. C’est l’acquisition de produits qui existe sur le marché mais pas selon les critères voulus par l’administration contractante.
3-       Les fournitures spéciales que sont les produits introuvables sur le marché et que le cocontractant doit produire selon des normes spécifiques.
4-       Les contrats de fournitures ne peuvent avoir pour objet le commerce d’immobiliers ou leur location avec option d’achat.     

    Annexe 2 du décret de travaux publics énumère en détail les fournitures de services faisant objet de contrats administratifs.





























 Initiation à la lecture des Arrêts du droit administratif


Arrêt Blanco :                                                                       T. C.   1873

                  Les faits : Une enfant est blessée par le wagonnet d’une manufacture              de tabac régie par l’Etat. Son père, Mr Blanco, a tenté de faire condamner l’Etat, comme civilement responsable, pour dommages et intérêts devant les juridictions judiciaires. Ce que le préfet de la gironde, le représentant de l’Etat au niveau du département : comme le wali au Maroc, a refusé.
               
                  Le problème de droit : Le tribunal des conflits devait désigner la juridiction compétente « pour connaître des actions en dommages et intérêts contre l’Etat ».
                 
                  La solution juridique : L’arrêt consacre,  pour un certain temps au        moins, le principe de la liaison de la compétence et du fond. C’est le « lien direct et réciproque entre l’application de règles autonomes, exorbitantes du droit privé, et la compétence de la juridiction administrative. »  
                  
                  Remarques :   L’arrêt est largement dépassé aujourd’hui. Les  accidents de ce genre relèvent depuis du droit privé.  Et les règles de compétence sont moins tranchées, de plus en plus versatiles.
              

 Arrêt Terrier  (chasseur de reptiles)                                 C. E.      1903
                                                                     
                  Il prolonge l’arrêt Blanco en établissant que tout contentieux, contractuel ou extracontractuel,  qu’il concerne l’Etat  ou des entités décentralisées, relève du juge administratif s’il touche à l’intérêt général.  Puisque la notion est révélatrice d’un service public.   
                  
                                                                                                                                                                           
Mairie de Néris-les-Bains                                                    C.E.   1902

      Les faits : Le préfet interdit les jeux d’argent dans son département en laissant des possibilités de dérogation. Le Maire d’une commune du département aggrave la mesure en établissant une interdiction totale.

     Problème de droit : Le préfet conteste l’autorité du maire et annule son arrêté. Le Maire saisit le tribunal pour contester la compétence du préfet.

     La solution juridique : Si la subordination hiérarchique ne tolère pas la contestation des actes de son supérieur, sauf en cas d’atteinte aux statuts, les relations des autorités sous tutelles et des autorités tutélaires sont d’un autre ordre.

     Le principe ici est que toute autorité publique a le droit de contester la légalité d’acte pris par une autre autorité publique.  Même si elle est sous sa tutelle.

     De ce fait, le Maire avait raison d’autant qu’il aggravait la mesure prise par le préfet. Puisque le contraire reste inacceptable pour le juge administratif.


   Sté immobilière de Saint-Just                                            T. C.   1902
                
                  Les faits : Le préfet du Rhône  a ordonné l’évacuation  et la      
             fermeture de  l’établissement des nones à Lyon, en application                   
             du décret anticlérical de juillet 1901.

Le problème de droit : Est-ce que l’apposition des scellés devait être considérée comme une mesure administrative ou comme un acte de dépossession fondant la compétence de l’autorité judiciaire ?   

La solution juridique et ses conséquences:
    C’est une mesure administrative et ce n’est pas le plus important puisqu’elle est fondée. L’encadrement juridique de l’exécution forcée est ce qu’il faut retenir.
    
     Désormais :       
       -  Elle doit trouver sa source dans un texte de loi précis.
                    - Aucune autre sanction ne soit prévue, notamment pénale.
                    -  Il y a urgence.

                  De plus, il faut ajouter les conditions nécessaires à la légalité de sa mise en  œuvre :
                    -  un texte de loi
                    -  une mauvaise volonté caractérisée chez le sujet.
      -  elle doit  se limiter  au strict  nécessaire  pour  assurer l’obéissance à la loi.  Faute de quoi, l’administration exécute à ses risques et périls. Sachant que toute atteinte à un droit ou à une liberté fondamentale constitue une voie de fait
                                  
                              Dans l’Arrêt Couitéas de1923, il y a décision de justice. Et le juge retient deux cas de figures. Le refus d’exécuter est injustifié : il y a faute lourde. Le refus est compréhensif (crainte de troubles) : il y a responsabilité sans faute. Depuis, la C.J.C.E. a tranché : l’Etat doit assurer l’exécution des jugements. (Commission contre la France. 1997)  


                  Arrêt Monpeurt                                                             C. E.    1942
                                       
                                 Les faits : Ils concernent les comités d’organisation du temps de Vichy

                                Problème de droit : Le législateur n’en a pas fait des Etablissements      publics. Mais ils prennent des décisions qui s’apparentent à des actes administratifs.

                               Les solutions juridiques : Le C. E. reconnaît ce fait et circonscrit le domaine du droit administratif : les décisions prises dans le cadre de leurs attributions par voie réglementaire ou dispositions individuelles. Il s’abstient toutefois de qualifier les décideurs, jusqu’en 1984 (Centre d’études marines avancées et Mr. Cousteau)  Ces comités sont d’ordre privé.    
                                                     

                  Arrêt Bouguen                                                                 C. E.  1943

                                Il concerne les compétences des ordres professionnels, auxquels il préconise la solution retenue dans l’arrêt Monpeurt. Seules les décisions à caractère réglementaire comme le refus d’inscription d’un nouveau membre relève du juge administratif. Il faut ajouter cependant que les mesures disciplinaires doivent passer par les instances nationales de l’ordre avant de faire un objet de recours en cassation. En ce qui concerne la responsabilité, la faute simple suffit.


                  Sté La cartonnerie et imprimerie Saint Charles                        C.E.1938

                                 Ici le juge reconnaît à l’administration un large pouvoir d’appréciation quand il s’agit de prêter main forte. Parce qu’il n’y a pas de décision de justice.        

    Arrêt Martin     (un conseiller départemental remet en cause la procédure d’un contrat)                              C. E. 1905
                                                         
                                Si auparavant le contrat et les actes qui lui sont attachés formaient un tout indivisible, cet arrêt formule la distinction entre le contrat et les actes détachables du contrat : actes préparatoires comme les délibérations ici, ou actes postérieurs au contrat comme l’exécution ou la modification des termes du contrat, voire sa résiliation. Ces derniers peuvent faire l’objet de recours pour excès de pouvoir, même quand le contrat relève du droit privé. Le recours est ouvert pour les tiers également.


    Arrêt Pariset                                                                   C. E.   1873

               Les faits : Le préfet ferme l’usine d’allumettes de Mr Pariset pour insalubrité. Ce dernier l’accuse de l’avoir fait pour favoriser son concurrent, un établissement public.

                  Problème de droit : comment rechercher la vérité ?

    La solution :   le juge étudie le but poursuivi par l’auteur et contrôle  son intention subjective profonde.    Des présomptions sérieuses fondent le détournement du pouvoir. 



*       *      *
*       *

          Pour rendre compte d’un arrêt, il faut noter tout d’abord les trois éléments constitutifs de la première partie:
- Les faits
- le problème de droit qui s’y pose
- la solution juridique qu’il préconise
     Le commentaire d’arrêt consiste, après, à comparer dans la seconde partie l’arrêt avec d’autres pour voir s’il apporte du nouveau ou non dans la solution qu’il adopte.


    Société  Entreprise Peyrot :                                            T.C.  1963

   Les faits : L’entreprise Peyrot, une entreprise privée, reproche à la société concessionnaire de    la    construction  et l’exploitation d’une autoroute, société mixte Esterel-Côte d’azur, des manœuvres dolosives qui ont causé sa faillite.

             Problème de droit :   Le juge judiciaire  s’est d’abord déclaré   
       compétent. Le juge d’appel, au contraire, a renvoyé le litige au juge administratif, qui a saisi à son tour le tribunal des conflits. Le problème de droit apparaît épineux d’autant que le C.E. s’est déclaré incompétent en 1961 à propos du litige né d’un contrat entre la même Société Estérel et une autre entreprise.  Et pour cause : ce sont deux entreprises privées et leur contentieux relève du droit privé.

    La solution juridique : Le tribunal avance des motifs d’opportunité. Il dit qu’il est souhaitable que les litiges des grands travaux soient tous soumis au droit public. Mais l’Arrêt revêt « une portée doctrinale bien plus grande que celle d’une simple décision d’espèce. »GAJA, 1990, p620.

      En effet,  les conséquences de l’arrêt se prolongent jusqu’à nos jours pour en révéler l’esprit : éviter, sur le plan juridique, la « privatisation » des grands travaux de l’Etat. (p619) Autrement dit, si la loi charge l’Etat de l’exécution  et le contrôle des grands travaux, celui-ci ne peut pas se démettre de cette charge en délégant l’exécution ou le contrôle à des entités privées. Il demeure responsable. La connotation politique y est importante et rappelle les conclusions du commissaire du gouvernement, Mr Chenot, dans l’Arrêt Compagnie Maritime de l’Afrique Orientale de 1944:« un service régulier de transports publics ne peut être abandonné à l’entière fantaisie de l’initiative privée… La carence de l’entreprise ou son fonctionnement désordonné mettraient en péril les intérêts généraux dont l’administration a la charge ». p359.

    C’est l’expression « dont l’administration à la charge » qui est importante pour nous. Puisque, par la force de la loi, la charge des grands travaux publics revient à l’administration. De ce fait,  le juge administratif se déclare compétent pour tout contrat portant sur l’exécution directe de tels travaux. Ici, il est question d’autoroutes. Ailleurs, les tunnels routiers : Sté concessionnaire française pour la construction et l’exploitation du tunnel routier sous le Mont-Blanc. (La cour d’appel de Paris, 1965.)

      Sté des autoroutes de la Région Rhône-Alpes, (entièrement privée). C.E.1989.   Il en est de même pour la voirie en général.

      C’est l’objet du contrat qui détermine en fin de compte sa nature. L’objet renverse « la présomption qui résulte de la personnalité des parties contractantes ».

       Exemple contraire : l’Arrêt du T.C. de 1983, Union des assurances de Paris. « Un contrat conclu entre deux personnes publiques revêt en principe un caractère administratif (…) sauf dans le cas où, eu égard à son objet, il ne fait naître entre les parties que des rapports de droit privé. » p624\625.


 Arrêt : Société des granits porphyroïdes des Vosges,  1912.
       Les faits : Suite au retard de la société des granits dans ses    livraisons de pavés, la municipalité de la ville de Lille a retenu une somme d’argent sur le paiement dû comme pénalité. La société en question a assigné la ville devant le juge administratif.
      Le problème de droit : Le marché passé entre la ville et la     Société étant exclusif de tous travaux à exécuter par la société et avait  pour objet unique des fournitures à livrer selon les règles et conditions des contrats intervenus entre particuliers, la société s’en plaint devant le tribunal administratif, mais sa demande est rejetée. La dite société soulève une contestation dont il n’appartient pas à la juridiction administrative de  connaître, dira-t-il.                                                                                                    
      Une première constatation s’impose, le jugement en lui-même s’arrête sur le fait qu’il n’y a pas de gestion directe et, donc, le contrat relève du droit commun. Ce qui nuance la portée de l’arrêt Thérond du 4 mars 1910, qui «  pouvait conduire à voir un contrat administratif dans tout contrat conclu par une ville dans le « but d’assurer un service public ». » (p156.GAJA :2007)                              Mais, deuxième constatation importante, le débat sera ailleurs, sur le critère du cahier de charge et, sa pierre angulaire, les clauses exorbitantes.                                                                         
               La solution juridique (du moment):
     C’est dans les conclusions de Léon Blum qu’on la trouve. Le commissaire du gouvernement avait précisé : « Quand il s’agit de contrat, il faut rechercher, non pas  en vue de quel objet ce contrat est passé, mais ce qu’est ce contrat de par sa nature même. Et, pour que le juge administratif soit compétent, il ne suffit pas que la fourniture qui est l’objet du contrat devrait être  utilisée pour un service public ;  il faut que ce contrat par lui-même, et de par sa nature propre, soit de ceux qu’une personne publique peut seul passer, qu’il soit, par sa forme et sa contexture, un contrat administratif… Ce qu’il faut examiner, c’est la nature du contrat lui-même indépendamment de la personne qui l’a passé et de l’objet en vue duquel il a été conclu. » (p156)                                              
      Le commentateur résume la pensée de Léon Blum : « Le commissaire du gouvernement considérait que le critère du contrat administratif était la présence de clauses exorbitantes du droit commun. »  En fait Léon Blum a cru résoudre le problème mais il en a crée un autre.                                                                   
       Le commentaire :
       « Depuis lors la question s’est posée pour les marchés, d’une part en ce qu’ils se bornaient à renvoyer à un cahier des charges, d’autre part en ce qu’ils étaient soumis seulement à la réglementation des marchés.                                                           
      Dans le premier cas, la jurisprudence a fini par considérer que le renvoi à un cahier des charges n’imprimait au contrat un caractère administratif que si ce document contenait lui-même une ou des clauses exorbitantes du droit commun. (TC, Union des           groupements d’achats publics, 5 juillet 1999).                                                                      
      Dans le second cas, la jurisprudence a considéré que le régime particulier de passation des marchés publics ne suffisait pas à en faire des contrats administratifs. » (TC. 5 juillet 1999. Commune de Sauve. GAJA 2007, p158)                                                                                             
     En somme, si le cahier des charges, synonyme de marchés publics, ne suffit pas pour déterminer le caractère administratif d’un contrat, puisqu’il faut y chercher les clauses exorbitantes du droit commun, c’est que le cahier des charges en lui-même n’a plus d’importance. En conséquence de quoi, c’est la notion même de régime de passation des marchés publics qui est remise en cause,  puisque  le cahier des charges  en est  l’essentiel.                                                                             
     Effectivement en principe de nombreux contrats administratifs allaient passer au droit commun selon cette logique. D’autant que les sociétés privées contractent des marchés selon le mode du cahier des charges, et des entités publiques ou mixtes sans référence aucune à un cahier des charges.                                 
     Bref. Une approche venue du régime des contrats déterminés par la jurisprudence, le régime des critères, a envahi le régime des contrats administratifs déterminés par la loi, pour en bouleverser l’ordre au point de semer le doute sur la réalité du régime. Le doute a été tel que le législateur a jugé bon d’intervenir pour rétablir le régime  des travaux publics  en place :                           
    Les « marchés passés en application du Code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs ». Loi MURCEF du 11 décembre 2001.  La jurisprudence va alors plus loin. Vu leur objet, même les contrats conclus sans formalités préalables, c’est-à-dire sans référence à un cahier de charges, sont des contrats administratifs. (CE. Société MAJ Blanchisseries de Pantin. 29 juillet 2002)           
        Le retour de situation est conséquent. La tentative de certains juristes de faire passer des contrats de droit commun en droit administratif a échoué : « les marchés que passent des personnes privées en appliquant spontanément le Code des marchés publics alors qu’il ne s’impose pas restent des contrats de droit privé. » TC 17 décembre 2001. Société Rue Impériale de Lyon.                                                   
     En revanche, un contrat  de fourniture  de   pierres  pour  le revêtement d’une place publique, semblable au marché de granits porphyroïdes des Vosges, est reconnu administratif. CAA  Bordeaux.   14 septembre 2004.                                                                                                                                                  
        La conclusion qui s’impose est que la logique inhérente aux contrats déterminés par la jurisprudence reste valable tant qu’elle reste confinée dans le domaine qui est le sien : tout autre objet en dehors des travaux publics. Et l’erreur dans l’arrêt des granits est justement dans l’utilisation des critères de jurisprudence dans un domaine où règne la loi, sur le cocontractant et sur le sous traitant.                             

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