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mercredi 24 octobre 2018

LA RESPONSABILITE CIVILE : LE LIEN DE CAUSALITÉ.



TITRE II: LE LIEN DE CAUSALITÉ.

Cette condition pose des difficultés majeures. Il ne faut pas confondre la causalité des scientifiques et celle vue par les juristes. Le juriste raisonne autrement, il se demande plus précisément si ce fait, peut être considéré comme une cause juridique du dommage ; toute cause matérielle ne sera pas nécessairement une cause juridique.
CHAPITRE I : NOTION DE CAUSALITÉ.
Le lien de causalité est un élément commun à toutes les responsabilités civiles. Il relie le fait générateur au préjudice. Il constitue une difficulté car un événement est toujours le fruit d’une pluralité de facteurs. Le problème est de distinguer entre celui qui peut être qualifié de cause. On recherche surtout l’aspect qualitatif du lien de causalité.
Si je veux engager la responsabilité d’un individu. Il ne suffit pas de démontrer un dommage et un acte fautif. Il faut de surcroît que cet acte fautif est bien la cause du dommage. On doit ainsi prouver le lien de causalité entre le fait générateur et le dommage. On peut enfin utiliser tout les moyens de preuves que l’on souhaite. (Par exemple : je tape une personne qui m’a insultée. On trouve un lien de causalité entre le fait générateurl’insulteet le dommagela blessure corporelle –).
SECTION 1 : L’EXPOSÉ DES THÉORIES.
PARAGRAPHE 1 : LA THÉORIE DE L’ÉQUIVALENCE DES CONDITIONS.
 Selon cette théorie, pour qu’un dommage se produise, de multiples conditions sont nécessaires mais aucune n’est suffisante. Tous les événements sans lesquels le dommage ne se serait pas produit sont équivalents.
Cette théorie impose d’établir un rapport de nécessité entre la cause et le dommage. La cause est donc un antécédent sine qua non du dommage. C’est la théorie la plus séduisante mais aussi la moins sélective ; elle désigne tous les antécédents comme cause du dommage, ce qui fonctionne plutôt bien pour la responsabilité pour faute.
Pour faire simple, cette théorie met sur un pied d’égalité tous les facteurs qui ont pu contribuer au dommage (Par exemple : je tape une personne qui m’a insultée. Si on applique la théorie de l’équivalence des conditions, on retiendra tous les facteurs qui ont contribué au coup. Ca peut être l’insulte, le physique de la personne, ma sensibilité, mon humeur, etc.).
La jurisprudence tend à consacrer ce principe : Toute condition nécessaire au dommage en est une cause juridique, et cela même si cette cause nécessaire apparaît assez lointaine, assez indirecte, par rapport au dommage.
Soit un accident de la circulation, la victime est blessée et transportée à l’hôpital. Le médecin qui l’opère commet une faute chirurgicale, la victime est encore plus handicapée. On considère que l’auteur de l’accident est la cause finale même si les dommages plus graves ont été causés. C’est l’auteur qui devra réparer les conséquences du décès.
La portée de ce principe : A partir du moment où toute cause nécessaire est une cause juridique du dommage, il faut être certain que cette cause a induit le dommage. Sans cette cause, le dommage ne serait pas arrivé.

Plusieurs conséquences :
Le lien de causalité ne sera pas retenu s’il apparaît que le dommage se serait quand même produit sans la cause, sans le fait envisagé.
Envisageons le cas du notaire qui pour son client, contribue à la rédaction d’un acte de vente. Le notaire va commettre une faute en ne s’informant pas sur la solvabilité de l’acquéreur. Il commet une faute en manquant à son devoir de conseil. Cette faute engendrera un dommage, qui sera imputable à l’acquéreur et au notaire. A priori, la faute du notaire est la cause du dommage, mais supposons que le vendeur ait vendu à un ami, à un parent, à un proche, il aurait vendu de toute façon même s’il avait été informé que l’acquéreur était insolvable. La faute du notaire n’est, alors, plus une condition nécessaire du dommage.
La vaccination contre l’Hépatite B était-elle la cause de la sclérose en plaques ?
Problème du tabac : Certaines personnes, grands fumeurs, ont été victimes du cancer du poumon. L’un d’entre eux meurt, sa famille se retourne vers la Seita qui n’aurait pas suffisamment informé sur les risques du tabac.  Le défaut d’information reproché à la Seita pouvait-elle être considéré comme la cause ? Des juges du fond l’ont admis, mais la Cour de Cassation a considéré que le lien était trop incertain entre la faute reprochée à la Seita, et le cancer du poumon développé par un fumeur. Même si ce fumeur avait été informé du risque du tabac, à l’époque, ce fumeur aurait peut être fumé quand même et aurait quand même développé son cancer du poumon.
La jurisprudence retient la théorie de l’équivalence des conditions pour les responsabilités pour faute.
Responsabilité pour faute : Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou pas son imprudence.
PARAGRAPHE 2 : LA CAUSALITÉ ADÉQUATE.
La causalité adéquate considérée comme cause du dommage, les conditions qui rendaient le dommage prévisible, c’est-à-dire la cause qui rend le plus probable le dommage. En d’autres termes, la cause adéquate est l’événement qui, suivant le cours naturel des choses devait entraîner le dommage, par opposition aux autres antécédents.
Selon cette théorie, le dommage doit être rattaché à celui de ses antécédents qui était le plus proche à le produire. Est une cause l’antécédent qui rendait objectivement prévisible le dommage. Elle impose d’établir un rapport de probabilité entre l’événement et le dommage censé en résulter. Le tri est plus sélectif mais si on rassemble tous les antécédents d’un dommage, celui-ci n’est plus probable mais certain. La jurisprudence rajoute la formule «  selon le cours normal des choses et l’expérience de la vie, du dommage dont la réparation est demandée ». A l’inverse de l’équivalence des conditions, la causalité adéquate ne retient que les facteurs les plus importants qui ont contribué au dommage (Par exemple : je tape une personne qui m’a insultée. Si on applique la théorie de causalité adéquate, on retiendra l’insulte étant donné qu’il correspond à la cause la plus importante du dommage.)
Pour les responsabilités de plein droit, telle la responsabilité du fait des choses, elle a tendance à privilégier la théorie de la causalité adéquate.
La responsabilité de plein droit : elle donne lieu au versement d’une indemnité à caractère « quasi-automatique ». Elle correspond aux obligations dites «  de résultat ».


SECTION 2 : PREUVE DU LIEN DE CAUSALITÉ.
Comment prouver le lien de causalité ?
A.      Principe :
-          La charge de la preuve :
Le lien de causalité doit être prouvé par la victime. La causalité est présumée ; le défendeur doit rapporter une preuve contraire.
-            L’objet de la preuve :
Un lien de causalité certain (certitude de causalité). Cette exigence de certitude impliquée par la théorie de l’équivalence des conditions. Il faut être certain que sans le fait générateur, le dommage ne se serait pas produit.
-          Les modes de preuve :
Tous les moyens sont valables pour prouver la faute : témoignages, indices, présomptions de fait.
En matière de preuve du lien de causalité, c’est le système de l’intime conviction du juge qui va s’appliquer. Le juge doit être convaincu de la certitude du lien causal. Cependant, il faut reconnaître que parfois, un petit doute subsiste, car il est impossible dans certaines circonstances de faire la preuve d’une certitude de causalité (par exemple : les experts qui disent « il y a des très fortes chances que… », Ce petit doute ne sera pas suffisant pour écarter le lien de causalité à partir du moment où le juge sera convaincu) ; (par exemple : un avion franchit le mur du son, et exactement au même moment, une verrière se brise. On n’est pas complètement sûr que le bang est la cause du dommage, mais on passera outre ; Une personne absorbe un médicament, et à la suite de cette absorption, une maladie se déclare, et se trouve faire partie des effets secondaires possible du médicament, peut-on considérer que le médicament est la cause de cette maladie, tandis qu’il n’y a pas de certitude absolue sur un plan scientifique ?). Les juges tentent à retenir généralement une preuve à la fois négative et positive, car il se base sur le fait qu’il n’y a pas d’autres explications possibles, ce qui rend encore plus probable le lien de causalité entre le fait et le dommage.
Exemples :
-          La responsabilité des parents du fait de leur enfant, responsabilité du fait d’autrui. Il s’agit de la situation dans laquelle un enfant cause un dommage et engage dès lors la responsabilité délictuelle de ses parents.
-          La loi n° 91-1406 du 31 décembre 1991 relative à l’indemnisation des personnes contaminées par le sida et l’hépatite C par voie transfusionnelle. La loi a posé une présomption au profit des transfusés qui à la suite de transfusions étaient contaminées par le virus du Sida. La loi pose une présomption de causalité. La victime n’a qu’à rapporter deux preuves : la transfusion et l’apparition de la contamination à la suite de transfusion.
-          Les victimes heurtées par des choses en mouvement. La chose s’entend de façon très large, inerte ou en mouvement, mobilière ou immobilière, dangereuse ou pas, viciée ou non, matérielle ou non (ex : ondes vapeur). Le corps humain n’est pas considéré comme une chose, sauf s’il constitue un tout avec la chose (ex : choc entre deux cyclistes). Il existe des choses sans maître telles que l’eau, l’air ou encore la neige que l’on appelle des res nullius (la chose de personne). Ces choses ne peuvent faire l’objet d’une responsabilité en principe. La chose est en mouvement et est entrée en contact avec la victime. Lorsque ces deux conditions sont remplies, la jurisprudence présume le rôle actif de la chose. De même lorsqu’un dommage a été causé par un membre non-identifié d’un mouvement. La jurisprudence a tendance à présumer le lien de causalité entre le dommage et le fait de chacun des membres (ex : accidents de chasses).
-           Responsabilité du fait d’une infection nosocomiale : Lorsque la preuve d’une infection nosocomiale est apportée mais que celle-ci est susceptible d’avoir été contractée dans plusieurs établissements de santé, il appartient à chacun de ceux dont la responsabilité est recherchée d’établir qu’il n’est pas à l’origine de cette infection.
-          Responsabilité du fait des produits défectueux (produits pharmaceutiques ; médicaments à usage humain) : Dès lors qu’il était constaté que l’hormone de synthèse, dénommée diéthylbestrol (DES), avait bien été la cause directe de la pathologie tumorale dont faisait état la demanderesse, ce dont il découlait qu’elle avait été effectivement exposée in utero à ladite molécule, il appartient à chacun des deux laboratoires dont la responsabilité était recherchée sur le fondement de l’article 1382 du Code Civil français de prouver que son produit n’était pas à l’origine du dommage.
On peut présumer l’existence d’un lien de causalité à partir de certaines preuves. La jurisprudence ou la loi viennent alléger la tache probatoire de la victime. On suppose que dans des circonstances où un lien de causalité est difficile à établir et où les circonstances font que le lien de causalité est rendu probable.
Les présomptions de contamination transfusionnelles :
La loi a posé une présomption au profit des transfusés qui à la suite de transfusions étaient contaminés par le virus du sida. La loi pose une présomption de causalité. La victime n’a qu’à rapporter deux preuves : la transfusion et l’apparition de la contamination à la suite de transfusions (L3122-2 Code de la Santé Publique).
La faute qui consiste à confier une chose dangereuse à une personne qui n’est absolument pas capable de s’en servir. A supposer qu’en jouant avec ses camarades, il en fasse mauvais usage et tue l’un d’eux. De même, les fautes qui sont commises par défaut de surveillance de personnes dangereuses. De même pour le défaut de surveillance d’une personne dangereuse. Les chasseurs : on les connaît, ils sont tous identifiés, mais on ne sait pas lequel a laissé une victime en tirant involontairement. On présumera que tous sont la cause et les auteurs du dommage. Cette présomption de causalité se rencontre dans d’autres situations comparables : lorsque des enfants jouent dans une grange avec du foin et des allumettes. On ne sait pas qui a provoqué l’incendie. La preuve contraire, là encore, est possible.

CHAPITRE II : LES CAUSES D’EXONÉRATION.
« On est responsable, non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».
L’article 1382 al. 1er du Code Civil français, établit ainsi le principe général de la responsabilité civile. Ainsi, pour engager la responsabilité civile d’autrui, il va falloir un fait générateur de la responsabilité, un préjudice, et un lien de causalité entre les deux. Une fois que le lien de causalité est établi, sa résistance va être mise à l’épreuve. On va prendre en compte des événements et essayer de montrer qu’il n’y a pas de lien de causalité, que le dommage est imputable à autre chose.
Si une personne est poursuivie en tant que civilement responsable d’un dommage, elle peut riposter en affirmant que ce dommage n’est pas dû à son fait, mais à un fait qui lui est étranger {fait de la victime ; fait d’un tiers ; événement étranger à toute action humaine ; cas fortuit).
Selon les cas, cette cause étrangère entraînera soit l’irresponsabilité totale {exonération totale} de la personne poursuivie, soit une simple diminution de sa dette de réparation {exonération partielle}.
SECTION 1 : LA CAUSE ÉTRANGERE TOTALEMENT EXONÉRATOIRE OU LIBÉRATOIRE.
Pour justifier l’exonération totale, les tribunaux parlent de « cause étrangère exclusive ». Cela suppose que la personne poursuivie démontre que la survenance du dommage est imputable seulement à la cause étrangère.
La notion de « cause étrangère exclusive » a été consacrée par certains textes (cf. loi du 5 juillet 1985), mais le vocabulaire employé par les tribunaux est généralement différent : ils parlent de « cause étrangère imprévisible et irrésistible », ou de « cause étrangère présentant les caractères de la force majeure ».
PARAGRAPHE 1 : LA NOTION DE « CAUSE ETRANGERE IMPREVISIBLE ET IRRESISTIBLE » ; LA FORCE MAJEURE.
Un cas dit de « force majeure » est un événement exceptionnel auquel on ne peut faire face. Les conditions de la force majeure évoluent au gré de la jurisprudence et de la doctrine. Traditionnellement, l’événement doit être «extérieurimprévisible et irrésistible » pour constituer un cas de force majeure.

La force majeure permet une exonération de la responsabilité, c’est-à-dire qu’on écarte la responsabilité qui aurait normalement dû être retenue au vu de la règle de droit applicable, en invoquant les circonstances exceptionnelles qui entourent l’événement.

Par hypothèse, cette cause étrangère est un fait relié au dommage par rapport de causalité qui a rendu nécessaire la production du dommage.

Pour être considéré comme présentant les caractères de la force majeure, le fait doit être :

-          Extérieur à la personne du défendeur (1).
-          Imprévisible pour le défendeur (2).
-          Irrésistible pour le défendeur (3).



1)      L’extériorité de la cause étrangère :
L’idée d’extériorité est inhérente à la notion de cause étrangère :
le défendeur ne peut pas invoquer un fait dont une règle juridique quelconque lui impose précisément de garantir les conséquences dommageables pour les tiers. Mais pourtant, la notion d’extériorité a suscité beaucoup d’hésitations.
a)   L’extériorité du fait du tiers :
La notion d’extériorité est ici utilisée pour refuser la qualification de cause étrangère au fait d’une personne dont la loi ou la jurisprudence impose au défendeur de répondre vis-à-vis des tiers. Ainsi, à chaque fois qu’une personne doit répondre du fait d’autrui, elle ne peut pas invoquer ce fait comme étant une cause d’exonération (père et mère pour le fait de l’enfant, commettant pour le fait du préposé…).

Cette solution a cependant posé de graves difficultés concernant la grève : au cours d’une grève, il peut y avoir des désordres à l’origine d’un dommage ; souvent, l’employeur tente de se dégager de sa responsabilité en invoquant la grève comme cause étrangère.

Un certain nombre d’arrêts ont accueilli cette argumentation en constatant que l’événement avait rendu impossible l’exécution de l’obligation de l’employeur. Mais il faut distinguer entre les grèves :

-          les grèves qui touchent seulement le personnel de l’entreprise ne sont pas exonératoires (mais réserve d’un certain courant de JP qui admet l’effet exonératoire des grèves illicites).
-          les grèves qui affectent toute une branche d’activité (cf. grève des convoyeurs), et a fortiori les mouvements d’ampleur nationale (mai 68, manifs anti CPE…) sont considérés comme extérieures et donc exonératoires.
b)   L’extériorité du cas fortuit :
Si l’événement invoqué a été provoqué par le défendeur, il ne pourra pas être considéré comme une cause étrangère. Mais dès qu’un phénomène, indépendant de la volonté du défendeur, est à l’origine du dommage, on peut penser que la condition d’extériorité est remplie.

En ce qui concerne le dommage causé par l’intermédiaire d’une chose, on a vu que son gardien engage de plein droit sa responsabilité si elle a eu un rôle actif dans la survenance du dommage ; le fait de la chose n’est donc pas exonératoire. Par ailleurs, la Cour de cassation a affirmé de manière constante que le vice interne de la chose ne constitue jamais une cause étrangère susceptible d’exonérer le gardien vis-à-vis de la victime : le vice entre dans la sphère de responsabilité de celui-ci (sous réserve du recours contre le gardien de la structure de la chose).

En ce qui concerne la survenance d’un événement, à l’origine du dommage, qui ne dépend pas de la volonté du débiteur, certaines difficultés ont pu se poser :

-          Pour l’incarcération, on considère que cet état de fait est imputable au défendeur et ne constitue donc pas une cause étrangère (Cass. 2e civ. 25 mars 1998).
-          Pour le chômage, et plus généralement l’insolvabilité, la JP distingue selon que cet état a été provoqué par le défendeur, auquel cas ce n’est pas une cause étrangère, ou que cette situation est totalement indépendante de sa volonté et de son comportement ; dans ce dernier cas il peut être reconnu comme une cause étrangère exonératoire.
-          Pour la maladie, la JP traditionnelle admettait qu’elle puisse constituer une cause étrangère exonératoire. Cependant l’arrêt Trichard (Cass. 2e civ. 18 décembre 1964) a jugé que  le trouble mental ne pouvait être une cause d’exonération pour le gardien d’une chose poursuivi comme responsable du fait de cette chose, et l’art. 489-2 CC. dispose aujourd’hui que : « l’auteur d’un dommage causé sous l’empire d’un trouble mental n’en est pas moins obligé à réparation ». Mais les tribunaux ont jugé qu’un raisonnement par analogie n’aurait pas été équitable et admettent que la maladie n’entraînant pas de trouble mental puisse constituer une cause étrangère exonératoire.

c)    L’extériorité du fait de la victime :

A priori, la question de l’extériorité ne concerne guère le fait de la victime : il est très rare que l’on conteste cette extériorité. Cependant, il peut arriver que le fait de la victime ait été provoqué par le défendeur ; il ne sera alors pas considéré comme une cause étrangère susceptible de l’exonérer.
cf. quand la victime s’était mise à la disposition du défendeur et suivait ses ordres ou ses directives, il ne pourra pas invoquer la conduite de la victime pour s’exonérer à moins qu’il prouve sa désobéissance.

2)      L’imprévisibilité de la cause étrangère :
On considère que si un événement est prédit, on pourra prendre les mesures appropriées pour éviter ou limiter le préjudice. Ne pas l’avoir fait est considéré comme une faute. L’évaluation repose sur l’appréciation du comportement avant l’événement, par référence à une personne prudente et diligente, et en tenant compte des circonstances de lieu, de temps, de saison. En matière délictuelle, l’imprévisibilité s’apprécie au jour du fait dommageable ; en matière contractuelle, à la conclusion du contrat, le débiteur ne s’engageant qu’en fonction de ce qui était prévisible à cette date.
Un événement est jugé imprévisible lorsqu’il n’y avait aucune raison particulière de penser qu’il se produirait. Seul sera retenu un événement normalement, raisonnablement imprévisible. De manière générale, pour vérifier cette condition, les tribunaux s’appuient sur la probabilité de réalisation de l’événement mais aussi sur la soudaineté de l’événement, sa fréquence ou son intensité. Cette appréciation est faite par référence tant à des circonstances externes (temps, lieu) qu’à des circonstances propres à l’agent (ses connaissances).
L’existence d’antécédent suffit pour affirmer la prévisibilité de l’événement, par exemple :
-          CE, 4 avril 1962, « Chais d’Armagnac », où le Conseil d’État précise qu’une crue s’étant produite 69 ans avant celle qui a causé le dommage, cette dernière était prévisible.
-          TA Grenoble, 19 juin 1974, « Dame BOSVY », pour une avalanche avec un antécédent qui remonte à un demi-siècle.
Les dernières directives de la Cour de cassation française donnent à penser que l’imprévisibilité reçoit une acception relative. En effet, alors qu’une personne s’était jetée sous la rame d’un métro, la Cour de cassation statuant en Assemblée plénière a approuvé les juges du fond d’avoir dit la faute de la victime imprévisible au motif qu’aucun des préposés de la Régie autonome des transports parisiens (R.A.T.P) ne pouvait deviner sa volonté de se précipiter contre la rame. En effet, tandis qu’un suicide pourrait en soi être jugé comme un événement prévisible pour la R.A.T.P., le suicide d’une personne dénommée, identifiée ne l’est évidemment pas, ce qui permet de juger que la condition d’imprévisibilité est réunie.
Comment en effet envisager que telle personne allait se suicider ? Une telle appréciation permet d’assouplir grandement la condition d’imprévisibilité. Elle ne se dégageait pas aussi nettement des arrêts antérieurs, lesquels se référaient tantôt à la prévisibilité générale d’une catégorie d’événement, tantôt, mais plus épisodiquement, à la prévisibilité spéciale de l’événement effectivement survenu.
3)      L’irrésistibilité de la cause étrangère :
L’irrésistibilité indique que l’événement est insurmontable, celui-ci n’est ni un simple empêchement ni une difficulté accrue (à honorer un contrat par exemple). L’appréciation des faits est très stricte pour coller à cette définition : il s’agit de catastrophes naturelles (séisme, tempête…) ou d’événement politiques majeurs (révolution, guerre). Quant à l’individu, il faut qu’il lui ait été impossible, pendant l’événement, d’agir autrement qu’il ne l’a fait. C’est une appréciation « in abstracto » de son comportement par référence à un individu moyen placé dans la même situation. L’irrésistibilité est parfois rapprochée des notions d’événement « inévitable » ou « insurmontable ».
L’événement doit être irrésistible dans sa survenance et dans ses conséquences. L’irrésistibilité comporte en conséquence un double aspect : inévitabilité et insurmontabilité. Une telle acception est très utile s’agissant des événements naturels. Ceux-ci étant inévitables par nature, le juge se demande dès lors si leurs conséquences pouvaient être évitées par le défendeur.
PARAGRAPHE 2 : LA CONSEQUENCE DE LA CAUSE ETRANGERE IMPREVISIBLE ET IRRESISTIBLE.
1)        Etendue de l’effet exonératoire de la force majeure :
L’événement présentant les caractères de la force majeurel’événement naturel ; le fait humain anonyme ; le fait du tiers ou le fait de la victimea pour effet de libérer totalement le défendeur de la responsabilité qu’il encourt.
2)        Domaine de l’effet exonératoire de la force majeure :
L’effet exonératoire de la force majeure a lieu de jouer dans tout le droit commun de la responsabilité civile, avec cette réserve déjà mentionnée que celle-ci n’est pas souvent admise.
Une précision mentionnée s’impose. La force majeure a un effet proprement parlé exonératoire uniquement dans les responsabilités de plein droit. Dans ces régimes, elle a un effet extinctif de responsabilité : elle vient « décharger d’une responsabilité que l’on aurait normalement assumée ». Si l’on prend l’exemple de la responsabilité générale du fait des choses, la force majeure vient libérer le gardien alors que les conditions de sa responsabilité sont réunies – un fait de la chose à l’origine du dommage –.
En revanche, lorsque la responsabilité du défendeur est fondée sur la faute, la force majeure a un effet simplement libératoire. La responsabilité du défendeur n’a même pas été engagée un instant de raison, car la force majeure implique l’absence de faute. La force majeure empêche en amont qu’une apparence de responsabilité pèse sur le défendeur.
En revanche, dans un certain nombre de régimes spéciaux de réparation, la force majeure est privée d’effet libératoire. En guise d’exemples, la responsabilité du défendeur est ainsi maintenue même en présence d’un événement de force majeure en droit français dans le régime d’indemnisation des dommages résultant d’une infraction, dans celui des accidents de la circulation, dans les régimes de responsabilité du fait des téléphériques et du fait des aéronefs. Dans ces différents régimes, le législateur a préféré subordonner l’exonération totale du défendeur à l’existence d’une faute de la victime, et même parfois à une faute qualifiée. La raison est simple : ces régimes de réparation ayant pour finalité de faciliter l’indemnisation des victimes, il est logique qu’ils écartent la possibilité pour le défendeur de s’exonérer par la force majeure. La vertu exonératoire de la faute de la victime ne s’explique aucunement par la causalité mais par l’idée de peine privée. Lorsque par sa faute, la victime a concouru à la réalisation du dommage, elle ne mérite plus de profiter de la protection que lui confèrent ces régimes, elle doit être déchue de son droit à réparation.
3)        Fondement de l’effet exonératoire total de la force majeure :
La force majeure apporte la preuve incontestable de l’absence de rôle causal du défendeur dans la réalisation du dommage. La force majeure a un effet exonératoire total, car elle apparaît comme l’unique cause du dommage.
Pour cette raison, l’effet exonératoire total de la force majeure ne joue que dans les régimes où le rôle causal du défendeur est recherché, pour ainsi dire dans le droit commun de la responsabilité civile, et encore pas dans son intégralité. En revanche, dans tous les cas où le rôle causal du défendeur est indifférent, la force majeure n’a plus d’effet exonératoire. Tel est le cas en droit français dans le régime d’indemnisation des accidents de la circulation pour ne citer qu’un exemple.
En conséquence, contrairement à la notion de la force majeure, l’effet exonératoire de celle-ci est en parfaite adéquation avec la causalité.
La force majeure s’apparentant à la cause exclusive du dommage, pourquoi alors ne pas avoir fait de la cause exclusive la condition sine que non de l’exonération totale ?
Deux raisons peuvent être avancées pour expliquer le choix en faveur de la force majeure. D’une part, la recherche de la cause exclusive du dommage laisse au juge une trop grande marge d’appréciation, lequel peut, sous couvert de causalité, s’intéresser à la gravité des comportements, en particulier à la gravité de celui de la victime. L’exonération totale du défendeur est susceptible de devenir avec la cause exclusive une manière de sanctionner sévèrement la victime pour son inconduite, ce qui n’est pas possible avec la force majeure, puisque le viseur est pointé uniquement sur le défendeur. D’autre part, la disparition de la responsabilité commande logiquement d’apprécier la conduite du défendeur dans la réalisation du dommage, non pas sa faute mais son rôle causal, et de s’assurer que ce rôle causal est réduit à néant, conclusion à laquelle aboutit la force majeure.
4)        La force majeure est ainsi la condition de l’exonération totale de responsabilité :
D’autres causes étrangères peuvent laisser subsister un substrat de responsabilité, car elles ont simplement contribué avec le fait du défendeur à la production du dommage, et partant n’avoir qu’un effet partiellement libératoire. Tel est l’effet de la faute de la victime ne présentant pas les caractères de la force majeure, désignée également sous le nom de simple faute de la victime.
è  En principe, si les caractères d’extériorité, d’imprévisibilité et d’irrésistibilité sont remplis, l’exonération du défendeur est totale.
Si certains régimes spéciaux de responsabilité excluent même l’effet exonératoire de la force majeure (cf. loi du 5 juillet 1985 : elle a complètement écarté l’effet exonératoire du cas fortuit et du fait du tiers et a réduit celui de la faute de la victime), ces textes sont interprétés de façon étroite et le droit commun reste l’exonération totale.


SECTION 2 : LA CAUSE ETRANGERE PARTIELLEMENT EXONERATOIRE OU LIBERATOIRE.
A Priori, à partir du moment où le dommage a plusieurs causes juridiques imputables à des personnes différentes, ce concours devrait conduire à un partage de responsabilité. Mais il est fréquent que le partage soit écarté en application du principe de l’obligation in solidum de chacun des co-auteurs d’un même dommage à l’égard de la victime.
On dit que de deux ou plusieurs personnes qu’elles sont tenues « in solidum » lorsqu’elles ont contracté une obligation au tout, et ce, sans que se produisent les autres effets de la solidarité. L’exemple type est celui des relations d’un assuré avec son assureur. Dans le cas d’un accident de la circulation la victime peut s’adresser à l’assuré, à l’assureur ou aux deux à la fois pour exiger le dédommagement auquel peut prétendre.
Le principe de l’obligation in solidum n’est pas appliqué seulement en cas de responsabilité pour faute ; son dommage est beaucoup plus large et englobe l’ensemble des régimes de responsabilité. Chaque fois qu’un dommage est du à plusieurs causes, il permet que l’auteur de l’une de ces causes soit déclaré responsable vis-à-vis de la victime pour le tout, quitte ensuite à exercer un recours contre le co-auteur.
L’obligation in solidum est un obstacle, au moins provisoire, à l’effet exonératoire partiel de la cause étrangère, au partage des responsabilités vis-à-vis de la victime, dans un objectif de protection des intérêts de cette dernière.
PARAGRAPHE 1 : LE CONCOURS ENTRE FAIT REPROCHE AU PRETENDU RESPONSABLE ET CAS FORTUIT.
A propos de ce concours, la jurisprudence a évolué. Dans les années 50, la Cour de cassation avait admis que le cas fortuit pouvait avoir un effet d’exonération partielle et entraîner une diminution de la réparation mise à la charge du défendeur.
Mais elle a par la suite marqué sa volonté de maintenir intégralement la responsabilité de l’auteur du dommage à partir du moment où il n’avait pas établi que le cas fortuit avait présenté pour lui les caractères de la force majeure.
Aujourd’hui, le cas fortuit n’a aucun effet exonératoire ; il ne diminue en rien les droits de la victime s’il n’a pas présenté, pour l’auteur du dommage, les caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité de la force majeure.
PARAGRAPHE 2 : LE CONCOURS ENTRE FAIT REPROCHE AU PRETENDU RESPONSABLE ET LE FAIT D’UN TIERS.
-          Dans les rapports de la victime avec chacun des co-auteurs du dommage :
C’est la question de l’obligation à la dette de réparation.
Le principe de l’obligation in solidum va jouer pleinement : la victime pourra s’adresser à l’un quelconque des co-auteurs pour lui demander la réparation intégrale de son dommage.
Cette règle joue même si le défendeur est poursuivi sur le fondement d’une responsabilité sans faute et qu’il invoque la faute d’un tiers (Cass. 2e civ. 26 avril 1990). Elle joue également si l’un des responsables est tenu sur le fondement d’un texte spécial et l’autre en application du droit commun.
Le responsable du dommage ne peut plus s’exonérer par la preuve du fait d’un tiers à moins de démontrer que ce fait a présenté pour lui les caractères de la force majeure.
-          Dans les rapports entre co-auteurs :
C’est la question de la contribution à la dette de réparation.
Le principe est que, entre co-auteurs, celui qui a indemnisé la victime pour le tout peut se retourner contre les autres {l’obligation in solidum s’explique par l’idée de garantie offerte à la victime qui ne profite pas aux co-auteurs non poursuivis}. Mais les tribunaux ont apporté une exception en cas de concours entre deux co-auteurs dont l’un est coupable d’une faute alors que l’autre est poursuivi pour un fait non fautif. Dans ce cas, la Cour de cassation a décidé que si l’auteur de la faute a été poursuivi pour le tout, il n’aura pas de recours contre l’auteur du fait non fautif = priorité de la responsabilité pour faute dans les relations entre coresponsables.
En ce qui concerne le montant du recours :
-          Si les co-auteurs sont tous jugés coupables d’une faute, le recours est en principe proportionné à la gravité respective des fautes.
-          Si l’un des co-auteurs est coupable d’une faute alors que l’autre non, celui qui est responsable sans faute aura un recours intégral contre l’autre.
-          Si tous sont responsables pour un fait non fautif, on partage leur responsabilité de façon égale.
PARAGRAPHE 3 : LE CONCOURS ENTRE LE FAIT REPROCHE AU PRETENDU RESPONSABLE ET LE FAIT DE LA VICTIME.
-          En ce qui concerne le droit à réparation de la victime elle-même :

o   L’influence de la faute de la victime :
Il est de jurisprudence constante en matière civile que la faute de la victime qui ne présente pas les caractères de la force majeure exonère partiellement le responsable. Si le défendeur prouve que la faute de la victime a contribué à la réalisation de son propre dommage, il pourra s’en prévaloir pour obtenir une réduction de sa dette de réparation.
En revanche la chambre criminelle a longtemps écarté ce principe, jusqu’à un arrêt de Chambre mixte du 28 février 1987 qui l’a amenée à aligner sa jurisprudence sur celle des chambres civiles. Cependant, elle a maintenu une exception : elle admet qu’en cas d’infraction intentionnelle contre les biens, toute diminution d’indemnisation fondée sur la faute de la victime est écartée, à moins que la victime n’ait elle-même participé à l’infraction.
Si le principe  de l’exonération partielle est appliqué sans difficultés pour les cas de responsabilité fondés sur la faute, dans le domaine des accidents de la circulation {responsabilité du fait des choses art. 1384 al. 1 au départ}, cette règle a pris peu à peu une très grande importance en pratique. Elle a conduit les tribunaux à prononcer de très nombreux partages de responsabilité, les assureurs ayant pris l’habitude d’invoquer quasi-systématiquement une faute de la victime pour éviter l’indemnisation intégrale.
Cela explique la réaction de la doctrine, suivie par la Cour de cassation :
Cass. 2e civ. 21 juillet 1982 Desmares : la Cour de cassation a décidé qu’en matière de responsabilité du fait des choses, la faute de la victime ne pourrait plus être invoquée pour justifier un simple partage de responsabilité, mais seulement pour exonérer le gardien de toute responsabilité si elle présente les caractères de la force majeure.
Cet arrêt a été très critiqué et un certain nombre de CA ont refusé de l’appliquer. En réalité, l’objectif de la Cour de cassation était d’inciter le législateur à intervenir pour réformer le droit des accidents de la circulation. Ce but a été atteint puisque la loi du 5 juillet 1985 a été promulguée trois ans plus tard.
Finalement, la Cour de cassation a abandonné cette jurisprudence.
Cass. 2e civ. 6 avril 1987 Mettetal et Chauvet : permet de nouveau au gardien de s’exonérer partiellement en invoquant la faute de la victime, même si elle ne revêt pas les caractères de la force majeure.
Pour déterminer l’étendue de l’exonération due à la faute de la victime, la Cour de cassation s’en remet à l’appréciation souveraine des juges du fond, que le défendeur soit responsable sur le fondement de la faute (art. 1382 CC) ou non (art. 1384 al. 1 et suivants). Elle déclare que les juges du fond sont souverains pour apprécier la part de responsabilité qui doit être attribuée au défendeur.
o   L’influence du fait non fautif de la victime :
Il n’a aucune influence sur son droit à réparation, à partir du moment où il ne présente pas les caractères de la force majeure. Depuis l’abandon de la JP Desmares {qui a écarté l’exonération partielle pour faute de la victime et donc a fortiori pour le fait non fautif}, la Cour de cassation considère que seule une faute de la victime peut entraîner une exonération partielle.
-          En ce qui concerne le droit à réparation des victimes par ricochet :
Dans l’hypothèse d’un décès de la victime initiale du dommage, ses proches vont-ils subir une réduction de leur créance de réparation parce que la victime initiale a commis une faute qui a contribué à sa survenance ?
Après de nombreuses hésitations, la position de la Cour de cassation est aujourd’hui fixée.
Si dès 1938, la Chambre criminelle avait admis que la faute de la victime initiale était opposable aux victimes par ricochet (Cass. Ch. Crim. 14 décembre 1938), d’autres formations de la Cour de cassation s’étaient prononcées en sens contraire. Les Chambres réunies se sont rangées du côté de la Chambre criminelle (Cass. Ch. réunies 25 novembre 1964) et finalement :
Cass. Ass. Plén. 19 juin 1981 : confirmation de ce que la faute de la victime s’impose aux victimes par ricochet, qui subissent le partage de responsabilité qui aurait été prononcé vis-à-vis de la victime immédiate si elle avait elle-même exercé l’action en responsabilité (solution reprise dans la loi du 5 juillet 1985).

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